Pierre Rosset témoigne
De nombreuses années de scoutisme, commencées en pleine guerre 39-45 ...
J'ai commencé par être louveteau en 1942, sous loccupation allemande. Le scoutisme était alors interdit. Nous le vivions dans la clandestinité, cest à dire sans uniforme ni signe extérieur, à la barbe des allemands que nous croisions quotidiennement en ville, exerçant sur nous par leur uniforme et leur domination une fascination qui nous terrorisait un peu. Le scoutisme se dissimulait sous les apparences dun patronage anodin. Nous devions nous cacher pour les cérémonies officielles qui avaient lieu en local fermé. Là, tout se déroulait discrètement et sans élever la voix pour ne pas être entendu du dehors car on vivait dans un climat de sourde surveillance. Je me souviens aussi du lever des couleurs dans la salle paroissiale où nous avions notre local. Jétais ému à la vue de ce drapeau tricolore quà peine monté on redescendait pour le replier soigneusement et le faire disparaître, bien caché dans un placard. Il n'y avait que la croix gammée pour pavoiser les édifices publics !
Le 6 août 1942 fût au cours d'un camp d'été le jours de ma promesse louveteau dans la crypte de la cathédrale de Chartres. Un défi des cheftaines. Là, avec un culot monstre, les louveteaux ont poussé ce quon appelle le grand hurlement, comme cela se faisait pour la circonstance. Après quoi, les insignes et foulard, et tout ce qui aurait pu nous compromettre, ont été enfoui promptement au fond des sacs et nous sommes remontés en désordre au grand air pour continuer à vivre notre idéal dans la clandestinité.
Au lendemain de la guerre, le souvenir qui ma marqué est la Saint Georges célébrée solennellement un dimanche de 1945. Les scouts se sont rassemblés par milliers à Paris pour un grand défilé en uniforme. Cela ne s'était jamais vu. Je pense que les autorités, comme nous-mêmes, avons pris conscience de ce que nous représentions dans un pays déjà très travaillé par les courants marxistes. A la tribune dhonneur se trouvait entre autres, Lady Baden Powell, survivante de son mari, venue spécialement. Le gamin de 13 ans que jétais prenait conscience en même temps que des milliers dautres de ce que nous avions vécu dans la clandestinité. Cétait impressionnant de réaliser que non seulement le scoutisme navait pas décliné au cours des années de guerre mais qu'il s'était au contraire développé et renforcé.
Quelques années après cette guerre, lors d'un camp d'été en Allemagne en qualité de routier rattaché au clan de Versailles, j'ai fréquenté une troupe scoute allemande de Freiburg in Brisgau. Il faut savoir que ce genre de rencontre n'était pas toujours très apprécié à l'époque. Pourtant, l'objectif à terme était de tenter de réconcilier deux peuples ennemis depuis 3 guerres. L'entreprise très décriée par certains courants politiques paraissait osée, mais n'a-t-elle pas fini par porter des fruits si l'on en juge par l'étonnement que ce fait peut soulever chez les jeunes d'aujourd'hui ?
Quelques années plus tard, j'ai été envoyé en Allemagne pour effectuer mon service militaire dans les anciennes forces d'occupation. L'Allemagne était alors divisée en 4 zones tenues par les Américains, les Anglais, les Français et les Soviétiques. C'est cette dernière zone occupé par l'armée soviétique qui est devenue l'Allemagne de l'Est, les 3 autres ayant bien auparavant fusionné pour constituer la République Fédérale d'Allemagne. Il est intéressant de souligner qu'à l'occasion de ce service militaire, les circonstances m'ont permis de revoir ce chef scout allemand avec lequel nous avions fait un camp. Lui étant alors officier de police est venu me chercher avec sa moto jusque dans ma caserne pour me conduire chez ses parents où j'ai passé quelques jours. Il fallait des laisser-passer car ce n'était pas banal. Il est entendu qu'un policier allemand en moto avec un militaire français à l'arrière ne passait pas inaperçu. C'est ainsi que se nouent les amitiés durables car je suis resté ami de cet allemand. Ainsi, le 14 juillet dernier, nous étions précisément mon épouse et moi invités à ses noces d'or à Freiburg. Des photos émouvantes projetées au cours du repas festif ravivaient ce passé étonnant et si riche. Un voisin de tables parlant correctement français, ancien chef scout lui aussi et ayant participé après la guerre à des camps de formation en France, me citant Michel Rigal et Michel Menu, nos anciens Commissaires Nationaux, m'a dit combien il avait tiré profit du scoutisme.
Ce que je retiens du scoutisme de mon époque cest le fort élan spirituel qui, dès lorigine, la marqué. Il y a eu l'empreinte notamment du Père Sevin à qui nous devons une quantité de nos chants et notre cérémonial. Cela semble avoir un peu disparu. Nombreux sont les prêtres que j'ai connus, sortis du scoutisme, un terreau favorable. Au cours des camps par exemple, la messe quotidienne avec la présence dun aumônier à temps plein et participant à lensemble des activités a été un atout inestimable.
En 1938, la cheftaine d'un de mes frère plus âgés qui était alors louveteau est entrée dans un ordre missionnaire, lequel la envoyée en Afrique. Elle en a précédé dautres qui ont rejoint dans son sillage divers monastères. C'était assez fréquent, au point quil a fallu attendre 1947 à Viroflay pour que ce même frère devenu chef de troupe, épouse une cheftaine de louveteaux. C'était une première, le début des exceptions !
Jai suivi dassez loin lévolution du scoutisme. J'ai été un moment dans un encadrement de patrouilles libres à Troyes vers les années 1960. Ensuite le mouvement a été affronté aux questions que se pose notre société actuelle. A mon avis, ce qui importe, cest de réaliser lUnité au-delà des apparences, en considérant ce qui relie ses diverses branches du scoutisme et à favoriser l'entente et l'harmonie : le développement de la personnalité, le dépassement de soi, le sens de leffort, et aussi la sanctification personnelle en tant que membres dune même Eglise. Sur ces différents points, il me semble que le scoutisme doit rester une école de formation qui prépare à la vie.