Le scoutisme, une « ENA buissonnière » d'après Le Monde

Publié le 20 avril 2019 avec les mots-clés: Actualités

De nombreux responsables politiques, de gauche comme de droite, ont adhéré très jeunes à des mouvements de jeunesse.

C’est une école politique bien particulière. Une école qui ne nécessite aucune formation préalable et qui ne délivre pas de diplôme. Pourtant, de nombreux responsables politiques en sont issus, comme, par exemple, les deux anciens premiers ministres socialistes Michel Rocard et Lionel Jospin. Une « ENA buissonnière », en somme. Cette école, c’est le scoutisme.

Loin des clichés entourant ce mouvement de jeunesse, plusieurs cadres politiques expliquent au Monde à quel point ce passage a été essentiel dans leur parcours. Pour beaucoup, c’est même leur « matrice », ce par quoi ils se définissent. Anciens scouts catholiques, protestants ou laïques, ils militent ou ont milité au plus haut niveau à La France insoumise (LFI), au Parti socialiste (PS), chez les Verts, à l’Union pour un mouvement populaire (UMP, ancêtre des Républicains) ou encore au Rassemblement national (RN).

« J’y suis rentré à 7 ans et demi et j’ai l’impression que je n’en suis jamais parti », rigole Gabriel Amard. A 51 ans, l’ancien maire de Viry-Chatillon, dans l’Essonne, parle encore avec passion de cet engagement qui ne l’a jamais lâché, bien après son départ « officiel » du mouvement quand il avait 20 ans.

Comme souvent, son adhésion au scoutisme – chez les Eclaireurs, la branche laïque du scoutisme français – s’explique par une histoire familiale. « Il y avait une petite pression familiale. Ma mère était une catholique anticléricale, d’origine italienne. Elle avait été chez les scouts [catholiques]. Mon père était juif de naissance, franc-maçon, laïc qui avait rompu avec la religion à 13 ans. Les Eclaireurs leur correspondaient parfaitement. »

Travailler en groupe
Chez les Eclaireurs, Gabriel Amard rencontre bon nombre de militants socialistes. « Les dirigeants des Eclaireurs, notamment dans l’Essonne, étaient syndicalistes, militants politiques, raconte encore ce spécialiste des questions de l’eau. Les bénévoles de mon adolescence étaient des gens qui militaient avec Jean-Luc Mélenchon. » Un grand nombre suivra, comme lui, les pas du leader de LFI.

Quand Gabriel Amard adhère au Mouvement des jeunes socialistes en 1986 après le mouvement contre la loi Devaquet, M. Mélenchon repère ce jeune militant infatigable, qui aime travailler en groupe. Des qualités que l’intéressé attribue à son passage chez les scouts.

Son expérience entre en résonance avec celle de Jean-Luc Bennahmias. L’ancien patron des Verts qui a ensuite rejoint François Bayrou pour enfin revenir au centre gauche, n’a lui non plus jamais vraiment quitté les Scouts unionistes (protestants).

Il met d’ailleurs souvent en avant cette expérience. Et cela se comprend : il y a passé près de vingt ans, entre ses 7 et 24 ans. « Mon père était l’un des responsables unionistes juste après la guerre. Il était issu d’une famille juive passée au protestantisme. Les réseaux scouts ont joué un grand rôle dans la Résistance et l’accueil des juifs pendant la seconde guerre mondiale », rappelle M. Bennahmias, aujourd’hui âgé de 64 ans.

Libération post Mai-68
A Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), pendant sa jeunesse, lui « et ses potes » militent tous azimuts. Ils lancent le journal alternatif Antirouille. Oubliez les jeunes garçons en short et chemise beiges, avec le fameux chapeau à quatre bosses, caricaturés dans le film Scout toujours… de Gérard Jugnot (1985) : les dossiers sur le sexe, la drogue ou encore la contraception sont à des années-lumière de ce que l’on imagine du scoutisme.

Il rigole encore de ce décalage : « A la base, Antirouille est le journal des 15-17 ans chez les unionistes. C’était donc d’abord totalement interne, puis on est sortis avec l’accord de la fédération. » Le contexte est propice : comme tous les secteurs de la société, le scoutisme est profondément touché par la vague de libération post Mai-68. Y compris les catholiques, qui représentent la branche majoritaire du mouvement scout français.

Marie-Noëlle Lienemann, 67 ans, en sait quelque chose. Celle qui deviendra sénatrice de Paris a, elle, choisi le scoutisme catholique. Elle était Guide de France pendant les années 1968. « Ma troupe n’était pas du tout militariste ni traditionaliste mais conciliaire, ouverte. C’était plutôt PSU [Parti socialiste unifié]. J’étais en camp en 1968 après avoir été déléguée des élèves de mon lycée en mai. On rénovait un village. Mon équipe s’appelait “Les pavés”. » Elle explique :

« J’étais d’une gauche mutualiste, une branche de ma famille était de droite, une autre de gauche, socialiste, résistante. Les hommes étaient francs-maçons, les femmes étaient cathos. Mais on était tous laïcs. On est d’une culture qui croit à l’Etat mais aussi aux coopératives, au mutualisme. Le scoutisme m’a entretenue là-dedans. »
« Débrouille et solidarité »
Elle aussi a reçu le scoutisme en héritage. Sa mère était scoute pendant la guerre. « J’ai été cheftaine Guide et Caravelle [deux tranches d’âge allant de 11 à 17 ans] de France. Mais mon engagement aurait pu être associatif… Chez les scouts, on est impliqué, les affaires autour de nous nous concernent. On doit agir en groupe. Tout le monde a sa place. C’est inspiré du personnalisme chrétien, tout le monde a quelque chose à apporter, décrypte Mme Lienemann, qui a quitté en octobre 2018 le PS pour se rapprocher de LFI. C’est très participatif. On définit ensemble ce que l’on fait, mange, etc.

Cela m’a beaucoup aidée dans ma vie politique et associative dans la nécessité d’agir ensemble, pour avoir confiance en soi, pour oser parler et ne pas se sentir agressée quand quelqu’un n’est pas d’accord… »

C’est une lapalissade : l’apprentissage de la vie en groupe prépare à diriger des équipes. La « débrouille », elle, sert à faire beaucoup avec peu de moyens.

Gabriel Amard le reconnaît volontiers : « J’ai appris la coopération, le partage, la solidarité. Cela m’a appris à organiser. C’est ma matrice. J’ai besoin d’avancer à plusieurs, dans un environnement où l’on s’entraide. J’identifie les savoir-faire et je les mets ensemble. »

Le candidat aux élections européennes sur la liste LFI poursuit : « Ce sont les méthodes d’éducation populaire qui font appel à l’intelligence collective plus qu’aux experts. Si je suis pour des démarches citoyennes, je le dois à cette époque-là. » Jean-Luc Bennahmias confirme : « Dans toutes les organisations où j’ai été, la plupart des dirigeants étaient passés par les scouts ou la Jeunesse ouvrière chrétienne ou le Mouvement rural de jeunesse chrétienne. »

Borloo et Gollnisch
Il ne faudrait pas croire que le scoutisme ne prépare qu’à une carrière politique à gauche. De l’autre coté de l’échiquier, quelques-uns en sont également issus. François-Xavier Bellamy, la jeune tête de liste Les Républicains pour les élections européennes, a ainsi été scout d’Europe, un mouvement catholique plus conservateur que les Scouts et Guides de France (contacté, M. Bellamy n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde).

Deux figures de la politique française − aujourd’hui presque septuagénaires − que tout oppose ont, par ailleurs, été dans la même troupe scoute dans les années 1960, à Paris : le centriste Jean-Louis Borloo et le lepéniste Bruno Gollnisch.

Les souvenirs du nationaliste tranchent avec ceux des autres anciens : certes, il loue « l’espace de liberté, une ambiance de camaraderie et d’aventures » des scouts, mais aussi le « sens de la hiérarchie, de l’honneur… On nous apprend que les forts ne doivent pas écraser les faibles ». L’universitaire le reconnaît d’ailleurs volontiers : « J’ai eu mes idées politiques assez jeune, mais j’ai développé un certain nombre de valeurs chez les scouts qui pouvaient avoir des résonances différentes chez les autres, comme la solidarité, le patriotisme avec le salut au drapeau, la montée des couleurs ; mais aussi les valeurs familiales, l’écologie… On respectait les animaux, l’environnement, les plantes… Il y avait aussi la dimension spirituelle. » Son frère cadet, Pascal, connu aujourd’hui comme Mgr Gollnisch (directeur général de l’Œuvre d’Orient) a d’ailleurs suivi ses pas.

Tout est différent dans le récit de Jean-Louis Borloo. L’ancien ministre de l’écologie relie son passage chez les scouts « à une période très solidaire, très fraternelle de notre pays », le début des années 1960 :

« Il y avait les Petits frères des pauvres, l’abbé Pierre. La solidarité était structurée entre le Secours catholique et le Secours populaire, soit l’Eglise et le Parti communiste. »
A l’écouter, leur troupe (située dans les beaux quartiers de Paris), faisait pleinement partie de ce maillage de la solidarité, empreint de charité chrétienne : « Nous faisions des actions dans les bidonvilles de Nanterre, dans des hôpitaux. L’idée de la BA [bonne action] quotidienne était très présente. On s’extrayait du système convenu de la bourgeoisie du domicile familial. » L’ancien maire de Valenciennes (Nord) s’interroge : « C’est très présent dans mon identité mais est-ce parce que je suis comme cela parce que j’ai fait du scoutisme ou est-ce l’inverse ? Je ne sais pas… », concède-t-il.

Une chose est sûre : tous les intervenants se disent encore très attachés à ce qu’ils étaient quand ils portaient l’uniforme scout. « Toujours prêts », en somme.

ÉDITION ABONNÉS
Le scoutisme, une « ENA buissonnière »
Par Abel Mestre
Le 20 avril 2019