Daphné - Compagnon : Témoignage de mon expérience auprès des exilés de Calais

Publié le 18 octobre 2021 avec les mots-clés: Actualités

Cet été, en équipe compagnon (tranche d’âge 17-21 ans chez les Scouts et Guides de France ayant pour but de construire des projets solidaires en petits groupe de 3 à 7 personnes), nous avons eu l’occasion d'aider le Secours Catholique à Calais durant les deux dernières semaines d’août. Cette expérience m’aura transformée à jamais.
A Calais les journées sont très riches en émotions. On vit des situations difficiles mais aussi de très beaux moments.
Le matin j'ai participé avec mon équipe à des actions "aller vers" qui consistent en la distribution de thé/café, sacs poubelles et masques dans les lieux de vie des exilés. Un matin sur deux se greffe à cette action la recharge de téléphones à l'aide d'un générateur et de nombreuses multiprises branchées en série (je n'ai jamais caché ma peur d'un incendie probable suite à ses connexions électriques originales). Ce sont des moments privilégiés où l'on échange, joue au foot et passe un moment de joie avec eux.
Un après-midi sur deux l'accueil de jour est ouvert et permet aux hommes et aux femmes de laver leur linge, se laver, se couper les cheveux/se coiffer, participer des cours de français/anglais proposés par les bénévoles mais surtout de recharger leur TELEPHONE. Ce lieu est fréquenté par environ 700 personnes l'été.
Un après-midi sur deux il y a également l'accueil des femmes. Elles sont en minorité à Calais. Elles étaient environ une quinzaine avec leurs enfants ce qui nous permettait de leur proposer des activités manuelles et de créer un lien privilégié avec elles. Nous avons par exemple réalisé avec elles des masques naturels pour le visage grâce à l'association Shantii.
Un après-midi une femme souhaitait prendre une douche. Nous n'avions pu accéder à sa demande car l’heure de fermeture de l'accueil de femmes était proche. Elle en a pleuré. Je me sentais en empathie avec elle, je comprends les répercussions que cela peut avoir sur l’estime de soi lorsque l'on est dans l'impossibilité de se doucher pendant plusieurs jours. La fatigue et la perte de la somme 450 euros qu’elle souhaitait donner à son passeur pour la traversée vers Douvres l’avait exténuée. A ce moment, Mary [prénom modifié] est venue lui parler et l’a consolé. Et elle a su trouver les mots que je n’avais pas me sentant sous le choc de ce que je venais d’entendre. Je me suis sentie impuissante, je ne pouvais agir pour améliorer la situation. Elle a finalement pu prendre une douche et se sentait mieux.
Suite à cet évènement j’ai beaucoup discuté avec Mary. C’est la plus belle rencontre que j’ai pu faire à Calais. Dans son pays, elle était professeur de gestion et d’économie à l’université. Elle dégageait une énergie hors du commun. Elle est venue plusieurs fois à l’accueil de femmes et nous avons eu de longues conversations. Je n’ai jamais vu quelqu’un avec un amour altruiste aussi développé. Elle était dans la vie, dans la joie et dans un espoir incroyable. Elle est passée en Angleterre sans que je puisse lui dire au revoir. En entendant la nouvelle j’ai ressenti une joie intense, car je sais qu’elle arrivera à s’intégrer dans ce pays (elle a une parfaite maîtrise de l’anglais et est diplômée). Cette joie l’a emporté sur ma déception de ne pas avoir pu la revoir avant son départ pour lui remettre le petit cadeau que je lui avais fabriqué. La France a perdu et continue de perdre des cerveaux qui pourraient apporter une véritable richesse au territoire.
En rentrant de ces deux semaines je me suis demandée si j’en avais fait assez. Nous ne faisons que répondre à l’urgence avec le Secours Catholique, mais nous ne changeons pas leur situation. Nous ne pouvons rien contre les politiques étatiques. Mais peut-être que l’amour et l’attention qu’on leur prête représente déjà pour eux un soutient et un espoir. Ces gens ont foi en l’avenir. Ils vivent dans l’espérance. On fait ce qu’on peut pour les aider et ils nous en sont infiniment reconnaissants. J’ai donnée de mon temps mais c’est eux qui m’ont le plus apporté, ils m’ont fait grandir et je ne leur en serais jamais assez reconnaissante.
Pour faire un rapide résumé de la situation, suite aux échecs des politiques migratoires, de nombreux exilés venus en majorité d'Asie centrale et d'Afrique se regroupent à Calais. Dans les ethnies les plus représentées on trouve les Erythréens, les Iraniens, les Soudanais, les Afghans, les Irakiens, les Syriens et les Yéménites...
Ils se retrouvent bloqués à Calais dans l'espoir d'un futur passage de la frontière.
Depuis les accords du Touquet de 2003 les autorités françaises et anglaises se sont accordées sur le déplacement du contrôle aux frontières à Calais et à son renforcement. L'utilisation de matériel de pointe comme les détecteurs de battements de cœur et de chaleur humaine rend la traversée plus difficile que par le passé. Plus de la moitié des personnes exilées à Calais souhaitent se rendre au Royaume Uni par défaut car mal accueillies dans les autres pays européens ou déboutées de leur demande d'asile.
En 2016, suite aux nouvelles politiques gouvernementales la jungle de Calais est démantelée, y vivait alors 4500 personnes. L'Etat lutte contre les points de fixation et procède donc à des démantèlements de camp toutes les 48h. Sur l'année 2020 on a compté plus de 950 expulsions. Cela crée un climat d'insécurité puisque les personnes se voient chasser de leur lieu de vie et confisquer leurs effets personnels sans certitude de pouvoir les récupérer.
De plus le déboisement et la pose de grillage par les autorités rendent plus difficile l'accès des associations aux lieux de campement des réfugiés. La vie est donc particulièrement difficile par rapport à celle d'il y a 20 ans. L'association "la vie active" financée par l'Etat assure la distribution de 200 repas et la dispense de 200 douches, une quantité largement insuffisante quand on pense qu'il y a jusqu'à 2000 personnes présentes l'été à Calais. Sans l'action des autres associations et leur collaboration les conditions de survie seraient déplorables. En effet chaque association a son propre domaine d'action et elles communiquent entre elles afin de répondre aux besoins constatés sur le terrain.
La situation à Calais semble insoluble : à moins qu'une catastrophe écologique ne fasse disparaître le Royaume Uni de la surface de la Terre ou que miraculeusement la pauvreté, la guerre et l’oppression ne soient éradiquées les exilés continueront à se masser à Calais. L'Etat mène donc la politique de l'autruche : s'il n'y a pas de jungle il n'y a donc plus de migrants à Calais. Mais la réalité est autre, la seule chose qui a changé depuis 2016 est le traitement encore plus indigne que nous réservons à ces hommes, femmes et enfants qui fuient déjà des situations difficiles dans leur pays d'origine et ont pour la plupart subit de multiples traumatismes. Peut-on au nom d'une immigration contrôlée se permettre de voler et déplacer sans arrêt des hommes, des femmes et enfants ? Quel est l'intérêt même de cette politique, permet-elle réellement une régulation de l'immigration ?
Le gouvernement français est d’ailleurs dans l’illégalité puisqu’il ne respecte pas les droits fondamentaux des personnes exilées. Le droit inconditionnel à un hébergement d’urgence est consacré à l’article L.345-2-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF), lequel dispose que : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier ». Le Conseil d’Etat a d’ailleurs érigé ce droit à l’hébergement d’urgence au rang de liberté fondamentale dans l’ordonnance du 10 février 2012.